Yasmina’llah !
Par Guillaume Chérel Écrivain
Lorsque l’ami Mustapha m’a proposé d’écrire un texte sur Yasmina Khadra, que j’admire et respecte en tant qu’écrivain, des terroristes intégristes venaient d’assassiner des touristes à Sousse, en Tunisie. J’ai soudain pensé : s’il y a un écrivain qui peut et sait écrire sur les fondamentalistes islamistes (entre autres), c’est bien Yasmina Khadra, de son vrai nom
Mohammed Moulessehoul (il utilise pour son pseudonyme les deux prénoms de sa femme). Tout simplement parce qu’il les a combattus, dans les années 90, sur le terrain. Il sait de quoi ils sont capables… et incapables.
Un Yasmina Khadra que j’ai eu la chance d’interviewer, peu après son arrivée à Paris. Il venait de quitter l’armée algérienne, après vingt-cinq ans de service, et s’étonnait que la France ne l’accueille pas avec plus de chaleur humaine, lui qui rêvait d’écrire, et en langue française qui plus est. C’était oublier qu’il débarquait dans le microcosme littéraire parisien, où il faut faire ses preuves, et que c’est un éditeur français qui l’a publié en premier, chez Baleine (Morituri, 1997). Car Yasmina Khadra a commencé par du roman noir, ne l’oublions pas. Déjà, il prouvait qu’il savait de quoi il parlait, avec un style déjà assuré pour un « débutant ».
Depuis, il a largement démontré qu’il faisait partie des écrivains qui comptent, comme on dit. Une plume rare et singulière, à la fois classique, par son style, et moderne, pour la thématique actuelle de ses romans.
Plus tard, j’ai eu l’heureuse surprise de constater qu’une édition poche des Hirondelles de Kaboul (2002) avait repris une phrase d’un de mes articles sur son travail. J’avais tout de suite compris que nous avions affaire à un grand écrivain, de la veine des raconteurs d’histoires. Pas des storytellers à l’américaine, faiseurs de best-sellers formatés pour le grand public, mais des écrivains engagés, disant le monde dans lequel ils vivent. Mais également un poète de la prose, de l’acabit de Stevenson et des Mille et une nuits. Car savoir raconter une histoire ne s’apprend pas, on l’a en soi ou pas. La plume de Yasmina Khadra est pleine de lyrisme, de sensibilité et de souffle. Il sait dire l’amour comme la mort et la langueur méditerranéenne, comme la violence la plus extrême.
Depuis Morituri, dans lequel un flic algérien, Brahim Llob, était aux prises avec la nomenklatura locale, il a fait du chemin. Récemment, il est revenu à ses premières amours, l’Algérie d’aujourd’hui, en dressant, avec Qu’attendent les singes, un portrait sombre et déliquescent de son pays. Traduit dans le monde entier, il collectionne les prix littéraires, pour le plus grand bonheur des Éditions Julliard et de Betty Mialet, qui fut mon éditrice pour Les Pères de famille ne portent pas de robe. Un titre qui devrait plaire à Yasmina… Quel plus bel hommage à « la/sa » femme que d’avoir gardé ce pseudonyme ?