Le poète comme boxeur
Par Marie-José Sirach Journaliste à L’Humanité
Son nom évoque la brique rouge des Minimes, les bidonvilles de Rio, le free-jazz des ghettos noirs, la java des mauvais garçons. Des « chansongs » qui swingent, tendres et coquines, qui, sous des airs rebelles et des mélodies sensuelles, vous rentrent dans la peau et ne vous quittent plus. Combien de chansons a-t-il écrit ? Beaucoup, les unes plus belles que les autres, qui ont parcouru les ruelles de sa ville rose natale portées par sa voix rocailleuse, rugueuse, capable de charrier des torrents de cailloux et des pointes de colère. Jongleur de mots, joueur de blues, amateur de sonorités brésiliennes, africaines, Nougaro convoquait le monde à notre porte, et le monde le lui rendait bien. Paris, Rio, Toulouse, New York, tourbillon de villes, tourbillons de vies, Nougaro racontait des histoires d’hommes et de femmes, brossait des paysages aux couleurs contrastées, dessinait des atmosphères endiablées. Ces paroles, pépites verbales des plus iconoclastes, se livraient à un mano a mano avec les notes. Les unes jonglaient avec les mots, les autres swinguaient avec les croches et triples croches, morceaux de feu, musiques furieuses. Nougaro, un taureau indomptable, un cracheur de feu, un catcheur en roue libre qui n’hésite pas à cogner les mots. Il a emprunté des chemins de traverse. Croisé la route de Piaf, Baden Powell, Michel Legrand, Eddy Louiss, Bernard Lubat, Christian Vander,
Aldo Romano, Richard Galliano… Des musiciens hors pair qui partagent avec lui le goût de l’inattendu. Souvent sur les routes, il a commencé au Lapin Agile sur la Butte Montmartre avant de faire le plein, des années plus tard, à l’Olympia ou à Bobino. Mais toujours Nougaro revient sur les traces de son enfance, de Toulouse. Pour se ressourcer. Quand au mitan des années quatre-vingt sa maison de disques l’abandonne, sa ville lui reste fidèle qui se presse pour l’écouter en concert, à la Halle aux Grains. Un aller-retour à New York et il retrouve la « niaque » avec un album percutant. Nougayork, certes, mais Nougaro reste fidèle à ses inspirations.
Combien de petites filles portent le nom de Cécile, sa fille ? Retour à Sing-Sing, Sing-Song, détour par L’Amour sorcier. Nougaro est un forgeron, dans son antre, il sculpte mots etnotes sans relâche. Il célèbre Paris en mai, mais aussi le cinéma et les virées enivrées entre copains. La pluie fait des claquettes, Nougaro swingue in the rain et bat la terre rouge africaine. S’arrête dans le Poitou et invente l’histoire d’amours contrariées entre un coq et une pendule. Allez savoir pourquoi… Poète, jusqu’au bout il aura écrit, jeté des mots en vrac sur le papier pour créer un territoire poétique inexploré qu’il n’aura de cesse de mettre en musique.
Aujourd’hui, à Toulouse, les avions toujours volent haut, l’église Saint-Sernin continue d’illuminer nos nuits. Au loin, on entend les mots de Nougaro murmurés, gravés à jamais dans la brique rose de la ville…