SIMONE DE BEAUVOIR

Simone de Beauvoir

Par Mustapha Boutadjine - Paris 2012 - Graphisme-collage, 130 x 95 cm

Castor, ma grand-mère

Par Amina Damerdji Poétesse

De nombreuses jeunes femmes, et en particulier celles qui se sont tournées vers la littérature ou la philosophie, ont été profondément marquées par les écrits et par la figure de Simone de Beauvoir. Dans mon parcours de lectrice, j’ai rencontré très tôt et avec une passion modificatrice ses romans, ses Mémoires et bien sûr, Le Deuxième sexe. Son intransigeante exigence de liberté et de vérité, j’ai voulu l’épouser moi aussi. À divers moments de ma vie, Simone de Beauvoir m’a accompagnée : au lycée catholique parisien qui m’a été infligé tout comme à elle, dans mes études de lettres classiques et de philosophie qu’elle a aussi suivies, en préparant l’agrégation aux tables de la bibliothèque Sainte-Geneviève où je la voyais parfois à mon côté ; dans mes questionnements sur le couple et sur l’amour je pensais aux siens et à ses choix, lors de mes voyages à Cuba où elle s’est rendue avec Sartre ; lorsque j’ai commencé à enseigner je pensais aux récits de ses premières expériences d’enseignement ; et même, devrais-je ajouter pour être honteusement honnête, certains matins quand je noue mes cheveux en chignon, comme celui qu’elle porte sur ce portrait de Mustapha Boutadjine. Toutefois, Simone et moi sommes bien différentes. Nos noms le disent : nos histoires, même si elles se croisent, ne peuvent être les mêmes. Simone, pour moi, c’est ma grand-mère. Elle partage avec elle le courage de l’engagement et l’audace de la rupture avec son milieu d’origine. Dès le gong de sa majorité, ma grand-mère s’est enfuie de son milieu bourguignon catholique et conservateur pour s’installer à Strasbourg. Elle a alors été une des rares jeunes femmes françaises à embrasser activement dès le début de la guerre la cause des Algériens. C’est dans le cadre de réunions politiques qu’elle a rencontré mon grand-père, militant FLN, et qu’elle a joint définitivement, et contre le rejet de sa propre mère, son destin à celui d’un pays où elle vit encore aujourd’hui. Ainsi, quand je lis dans La Force des choses, témoignage capital sur la guerre d’Algérie, tous les risques encourus par Simone de Beauvoir (menaces d’attentat, de plasticage…) pour son soutien absolu et public au peuple algérien, je ne peux m’empêcher de penser à ma grand-mère. Je pense à ces histoires qu’elle m’a racontées, à ces scénarios joués avec suffisamment de talent pour tromper la vigilance des services de police, à son ingéniosité dans des situations d’urgence (qui irait chercher l’argent du FLN dans des couches d’enfants ?) Bref, à son courage. C’est donc en tant que femme et en tant que fille de colonisés (deux figures de l’altérité en somme) que je me sens proche de Simone de Beauvoir. Mais c’est aussi et surtout en tant que petite-fille de ma grand-mère.