LOUISETTE IGHIL AHRIZ

Louisette Ighil Ahriz

Par Mustapha Boutadjine - Paris 2012 - Graphisme-collage, 100 x 81 cm

Une extrême douleur

Par Rosa Moussaoui Journaliste à L’Humanité

Sa voix, comme son regard, exhale une exquise douceur. À soixante-seize ans, Louisette Ighil Ahriz reste une femme indépendante, « jalouse de son autonomie ». Dans les rues d’Alger, lorsqu’ils la croisent, des jeunes gens, des jeunes femmes l’arrêtent, la saluent avec tendresse et respect. Ses affectueux sourires se voilent parfois, pourtant, d’une insondable tristesse, d’une irrépressible angoisse. Louisette Ighil Ahriz avait vingt ans à peine lorsqu’elle se jeta à corps perdu dans le combat pour l’indépendance, auquel toute sa famille prit part. Au maquis, son pseudonyme était « Lila ». À l’automne 1957, la jeune femme est grièvement blessée lors d’une embuscade tendue à son chef de réseau. La bataille d’Alger fait rage. Pendant trois mois, dans les locaux de la 10e DP du sinistre Massu, à Hydra, elle est torturée, violée par les parachutistes, sous la supervision du capitaine Graziani.

Condamnée à trois ans de prison, elle est ensuite incarcérée à Barberousse. Sa vie ne tient alors plus qu’à un fil. Un médecin militaire, le commandant Richaud, obtient son transfert en France. Elle passe de prison en prison : Fresnes, Amiens, Toulouse, Bastia, d’où elle s’enfuit, grâce à l’aide de communistes français qui l’hébergent à Nice jusqu’à la fin de la guerre. En 2000, son témoignage, dans les colonnes du Monde, puis de L’Humanité, déclencha une tempête, ouvrant le débat sur l’institutionnalisation de la torture pendant la guerre d’Algérie, jamais officiellement reconnue.

« Je le regrette vraiment. Tout cela faisait partie d’une certaine ambiance, à cette époque, à Alger », avoua alors Massu, tandis que Bigeard niait toujours tout en bloc. Louisette Ighil Ahriz eut aussi le courage de briser un terrible tabou, celui du viol, dont furent victimes d’innombrables Algériennes pendant la guerre d’indépendance. Dans nos sociétés patriarcales, archaïques, on ne parle pas du viol, entouré d’un silence mortel. Le sentiment de honte empêche la plupart des victimes de parler », dit-elle. Louisette Ighil Ahriz, elle, a parlé. Pour transmettre, témoigner devant les jeunes générations. Elle n’en a tiré aucun soulagement personnel. Les fantômes de Graziani, de Massu, de Bigeard la hantent toujours, chaque nuit. « Quand les sévices cessent, la torture morale, elle, continue. Vous la payez cher. C’est la plus terrible des privations de liberté », souffle-t-elle. Malgré le poids de la souffrance, Louisette Ighil Ahriz reste une combattante de la justice sociale, de la démocratie, une militante de la mémoire. Une féministe, aussi, convaincue que les jeunes Algériennes sauront trouver, à leur façon, le chemin de l’émancipation.