La déchirure
Par Hafida Ameyar Journaliste à Liberté
Née le 7 février 1928 à Hadjout, wilaya de Tipasa. Issue d’une famille de pieds-noirs depuis au moins trois générations du côté de son père, la jeune Annie a grandi dans un milieu protégé de fonctionnaires. En décembre 1951, elle épouse le Suisse Rudolf Steiner et aura avec lui deux filles : Édith et Ida. Le 1er novembre 1954, elle a vingt-six ans et travaille à la Bibliothèque des centres sociaux, à Alger. À l’époque, elle ne milite dans aucun parti politique ni association ; pourtant, elle applaudit spontanément à ce « coup de tonnerre dans le ciel de l’Algérie » et à « l’Algérie algérienne ». Elle veut s’engager tout de suite au FLN.
Finalement, elle est recrutée en tant qu’agent de liaison du FLN. Elle joue un rôle, notamment, dans la signature des accords FLN-PCA intervenus pendant l’été 1956. En octobre 1956, Annie est arrêtée, avant d’être jugée fin mars 1957 : elle est condamnée à cinq ans de prison. Son incarcération provoque la déchirure dans les relations familiales : rupture avec le mari, les membres de la famille, séparation d’avec ses deux enfants. Elle passera plus de cinq de sa vie dans six prisons : trois en Algérie et trois en France.
Pour la militante, la prison a constitué une grande école, qui lui a permis d’avoir un pays qu’elle possédait « déjà par rapine ». Une école où elle a subi des stages de formation en solidarité, face aux épreuves et aux condamnations à mort, où elle a côtoyé des détenues de droit commun, des prostituées et des gardiennes appartenant à divers horizons (Françaises de France, Corses, pieds-noires et religieuses), et où elle a appris à vivre avec des moudjahidate(*) de milieux très différents, donnant sens à leur identité de destin et donc à leur combat commun. Après la prison, Annie engage une nouvelle bataille pour la garde de ses filles, installées en Suisse avec leur père. Comme la décision du tribunal n’est pas en sa faveur, elle rentre en Algérie, en octobre 1962, seule et sans un sou. Elle intègre le secrétariat général du gouvernement, où elle fait toute sa carrière professionnelle. En 1963, elle fait partie de la première fournée d’Européens qui ont eu la nationalité algérienne. Avec d’autres moudjahidate, Annie s’implique dans des luttes pour le respect des droits des femmes, s’investit à la suite des événements du 5 octobre 1988 et dans d’autres causes contre les injustices.
Annie la rebelle est restée fidèle à ce front « très ouvert à toutes les tendances, qui a compris qu’il fallait réaliser l’unité ». Sensible au courage, à l’amitié, à la poésie, à la beauté, à l’intelligence et aux marques de reconnaissance et d’humanité, la jeune-vieille dame est également restée fidèle à tous ces anonymes et aux martyrs qui « ont beaucoup fait pour la
Révolution ». Aujourd’hui, Annie Steiner est grand-mère de trois petits-enfants, Joël, Zoé et Samira. Âgée de quatre-vingt-cinq ans, elle vit à Alger, dans l’appartement de son ancien ami poète Jean Sénac, qu’elle occupe depuis près de quarante ans, entourée de ses amis.
Hafida Ameyar co-auteure avec Annie Steiner du livre La Moudjahida Annie Fiorio-Steiner – Une vie pour l’Algérie, édité par l’Association « Les Amis d’Abdelhamid Benzine », Alger, septembre 2011
(*) Combattantes de la guerre de libération nationale