Le parcours d’un combattant de la liberté et de l’amour
Par Hamma Méliani Dramaturge et romancier Auteur d’une vingtaine de pièces de théâtre et de romans
Mohamed Boudia a mené deux vies parallèles, conjointes par les caprices de l’Histoire : le révolutionnaire et le dramaturge. L’homme est secret et ses actions ont leurs mystères. Né le 24 février 1932 à Alger, il s’éveille dans la violence coloniale et s’initie à la discipline et à l’action culturelle pendant sa période de scout musulman. Attiré par le théâtre, il intègre le Centre régional d’art dramatique d’Alger et participe en 1951 à un stage de formation en France. Il y rencontre Jean-Marie Boëglin et d’autres artistes français anticolonialistes. Certains seront plus tard membres du réseau Jeanson. Le miracle de ses rencontres expose au grand jour le drame du peuple algérien colonisé. Ces militants de l’ombre deviendront de précieux soutiens à la révolution. Après le service militaire, Mohamed Boudia retrouve
Mustapha Kateb à Paris alors que les premiers coups de feu dans l’Aurès déclenchaient la lutte de libération du pays, le 1er novembre 1954. La guerre coloniale s’intensifie dans le bled. Dans les rues des villes de France, les émigrés sont pourchassés. Parmi eux, des fidaïnes émergent des bidonvilles, des chantiers et des usines. L’héroïsme ne semble plus absent et le rêve d’El Djazaïr horra (l’Algérie libre) se mêle de force à l’Histoire. Devenu l’un des responsables de la Fédération de France du FLN à Paris, Mohamed Boudia organise les actions de sabotage du dépôt pétrolier à Maurepiane. Arrêté, il est condamné à vingt ans de prison. De la maison d’arrêt de Fresnes, il est transféré à la Santé puis aux Baumettes.
Là, il anime un groupe théâtral composé de détenus et crée sa pièce Naissance. Ainsi, dans ce pénitencier, est née la première expérience théâtrale de l’émigration algérienne en France : théâtre d’urgence et de lutte. Cette audace lui a valu d’être transféré à la prison d’Angers d’où il s’évade en 1961. Il rejoint la section FLN de Belgique qui le fait passer immédiatement à Tunis, auprès de Mustapha Kateb, pour animer la troupe théâtrale de la révolution.
L’indépendance nationale acquise, il est nommé en 1963 directeur du Théâtre national algérien (TNA). Il imagine tous les enfants d’Algérie héritant d’un avenir assuré et du savoir. Il entreprend alors une action d’éducation populaire à laquelle participent Jean-Marie Boëglin, René Laforgue et des artistes tunisiens. Ensuite une formation d’animateurs culturels est mise en chantier à Tixraïne. Certains élèves de cette promotion intègrent l’Institut national d’art dramatique et de chorégraphie nouvellement installé dans l’ancien casino de Bordj El Kiffan. Ses deux pièces L’olivier et Naissance sont enfin publiées. Il crée également une revue culturelle, Novembre, et un quotidien, Alger ce soir. Après le coup d’état du colonel Boumédiène, le 19 juin 1965, il s’insurge et s’engage dans l’ORP (Organisation révolutionnaire populaire).
Menacé, il quitte le pays pour renforcer la fermeté de sa volonté. Il émigre en France et fonde le RUR (FLN clandestin, d’obédience communiste). C’est en homme d’action au sens politique aiguisé qu’il trouve un compromis sans éviter les contradictions et les échappatoires. Sa fidélité à l’Algérie et son attrait pour la révolution mondiale donnent une signification profonde à ses engagements. Exalté par l’ardeur qui le porte vers l’immense projet de reconstruction d’un monde plus humain, il milite activement à Paris au mouvement des idées, incarnant tous les projets de société porteurs d’espoirs.
Cependant, les services secrets du monde se livrent une guerre sans merci après les affrontements israélo-arabes de l’été 1967. Menant à la fois une action politique et une action culturelle, Mohamed Boudia anime le premier groupe théâtral maghrébin en France et devient administrateur du Théâtre de l’Ouest parisien. Constant dans la lutte anti-impérialiste, il épouse la cause de la résistance palestinienne et fonce vers une réalité tragique marquée par son empreinte. Cet engagement lui vaut d’être une cible prioritaire dans le viseur des services secrets israéliens et de leurs alliés. Le matin du 28 juin 1973, quittant la librairie palestinienne pour prendre sa voiture garée rue Saint-Victor, Mohamed Boudia tombe en martyr dans l’explosion de son véhicule piégé. « Notre volonté de ne pas crever, de ne pas nous laisser briser, est notre volonté de rendre l’impossible possible », avait écrit Ulrike Meinhof en 1973. Ahmed Azeggagh lui dédie son recueil Les Récifs du silence :
« Comme un miroir fracassé, comme un rêve qui a pourri et ressuscite au pluriel... » En janvier 1977, le militant palestinien Mahmoud Saleh est assassiné à son tour dans la librairie ; des documents et le roman manuscrit Tamachkent du poète Ahmed Azeggagh sont dérobés. La liste des victimes s’allonge et le combat continue.
Le plus têtu des souvenirs n’est autre qu’un regard lumineux qu’inspire la nostalgie des luttes du tiers-monde et qu’accentue la peine suscitée par les justes sacrifiés, justes partis et perdus pour tous et pour toujours.