L’honneur d’une kurde
Par Hassane Zerrouky Journaliste à L’Humanité
Arrêtée, torturée, condamnée à quinze ans de prison, Leyla Zana, cinquante-trois ans aujourd’hui, est entrée dans l’histoire et en politique presque par effraction. La vie de Leyla Zana, mariée à l’âge de quatorze ans, qui n’a connu l’école primaire que durant un an et demi, a basculé quand, après le coup d’État militaire de septembre 1980 en Turquie, son époux est arrêté et condamné à dix ans de prison. Femme au foyer, mère d’un petit garçon et enceinte, c’est en rendant régulièrement visite à son mari en prison qu’elle décide de passer à l’action. D’abord en faisant des efforts pour lire des livres politiques dans une langue, le turc, qui n’était pas sa langue maternelle et qu’elle lisait difficilement. Puis, à partir de 1984, en participant à des activités politiques et à une grève devant la prison pour la libération de son mari. En octobre 1991, candidate aux législatives sur une liste du SHP (social-démocrate), elle sera la première femme députée kurde à siéger au Parlement d’Ankara. Et pour avoir prononcé sa prestation de serment en kurde, langue interdite par les autorités, au sein du Parlement, elle est forcée de démissionner du SHP.
Il n’empêche, elle continue à se battre contre cette image dégradante selon laquelle « être kurde, c’était un déshonneur » et à militer pour la reconnaissance des droits du peuple kurde.
En mars 1994, sur injonction des militaires turcs, qui détenaient la réalité du pouvoir, une cabale politico-judiciaire, relayée par une presse chauvine, est lancée à son encontre ainsi qu’envers les autres députés kurdes. La levée de l’immunité parlementaire contre elle et ses trois collègues est votée le 5 mars 1994 à l’unanimité. Leyla Zana, Hatip Dicle, Selim Sadak et Orhan Dogan sont arrêtés à la sortie du Parlement. Le 8 décembre, au terme d’une parodie de justice, les quatre députés sont condamnés à quinze ans de prison. L’opinion internationale se mobilise. En 1996, le Parlement européen lui décerne le prix Sakharov. Elle sera finalement acquittée et libérée en juin 2004, après avoir obtenu une révision de son procès.
En 2008, elle est de nouveau condamnée à dix ans de prison pour avoir prononcé des discours jugés favorables au PKK, mais le jugement a été cassé.