Un chemin d’exception
Par Mohamed Bouhamidi Professeur de philosophie et chroniqueur de presse Ancien directeur de la culture au ministère de la Culture
Les morts d’août 1955 n’ont pas vu ton regard.
Ils l’ont habité.
Je les entends derrière ta photo.
On me demande de parler de toi. Je préfère que cela soit en ce soixantième anniversaire de râles qui t’ont révélé à l’indigène qui t’habitait déjà. Le soixantième de ta renaissance à la fratrie indigène dans les yeux des paysans du Dahra et des frères heureux des armes que tu avais délibéré de voler le jour de ces massacres.
Ta mort je ne saurais en parler. Je peux résumer ta vie.
Né à Alger en 1928 dans une famille pied-noir-stop-Ami de Fernand Iveton, l’autre Arabe de Salembier et son voisin-stop-Militant du Parti communiste algérien (PCA)-stop-Secrétaire général de l’Union de la jeunesse démocratique algérienne ce qui n’est pas rien-stop-Représente l’Algérie dans des congrès de la jeunesse à Prague et à Varsovie-stop-Employé par Alger Républicain-stop-Déserte et détourne un camion d’armes et de munitions le 4 avril 1956 : 132 mitraillettes, 140 revolvers, 57 fusils, un lot de grenades-stop-Remet les armes à l’ALN-stop-Rejoint le groupe de combattants communistes, de ce même Dahra-stop- Condamné à mort le 22 mai par le tribunal militaire d’Alger-stop-Meurt le mardi 5 juin 1956 au djebel Deragua tué par la harka du bachagha Boualem et des soldats français-stop-A crié « Vive l’Algérie » face à ses bourreaux-stop...
Tu n’es dans les histoires officielles ou savantes que sur des marges. Impossible d’oublier ton acte et impossible de parler pleinement de toi. Trop de charge dans ton engagement. Trop de sens pour être dans une case de manuel. Tu es dans la métahistoire, camarade, pas dans l’anecdote.
Soixante ans après je lis sur des sites pieds-noirs « Henri Maillot, officier félon ». Officier passé à l’ennemi. L’ennemi c’était nous la multitude de ce pays. Interdit pour toi d’être notre frère sous peine de félonie. La fraternité avait ce seul chemin, que tu as montré, de passer vers notre rive. Chemin d’exception que j’essaye de regarder les yeux fermés à t’imaginer...