Contre-Images
Editorial
Par Mansour Abrous, Sociologue et historien de l’art
La sédition du graphisme. Il y a vingt-et-une œuvres, qui procèdent à la toilette intime de l’histoire, à une ablution du sens. Dans les thèmes, il y a de grands expulsés (le fascisme, le colonialisme, l’intégrisme religieux, la dictature, la répression, l’intolérance, l’exclusion...).
Chaque œuvre est dans un moment de déséquilibre où est admise l’histoire ; c’est le retour du graphisme « regardant » pour des « citoyens regardeurs ». Rétif à la discipline de l’imagerie consensuelle, l’auteur est plus que jamais fâché avec les effaceurs d’histoire, les buveurs de sens. Il laisse mordre l’image sur les imaginaires. Sa technique graphique, une peinture sculptée, un modelage du trait, une calligraphie du contour, lui permet de produire des images « en engagement », un coup de fièvre permanent pour régénérer du sens et être en tension avec le récit officiel dominant.
Chahuter l’histoire qui noie et le graphisme qui déporte. Il se joue dans ce plein champ de l’histoire, du fascisme et du colonialisme, une chorégraphie de la résilience, où l’auteur produit des images-documents en résistance, qui résistent, et disent le réel du monde. L’idée a une peau. Dans les petites plages graphiques, et les grands paragraphes gravés, débordent des signifiants (le croissant et l’étoile, la noyade, la torture) qui enluminent la force de l’idée, et affectent le regard, dans une pédagogie de l’écoute.
Le processus de vision qui en résulte soutient la migration du sens de l’extérieur vers l’intérieur de l’objet et réduit l’univers à l’objet imagé. La puissance du parti pris narratif est dans l’absence de trace humaine, qui témoigne de l’extraction du réel et de l’absurdité de la violence.
L’auteur ne produit pas d’images blanches. Il sollicite Nicolas Poussin, Pablo Picasso, David Alfaro Siqueiros et prend appui sur les soliloques du récit de l’humanité. Ses promesses graphiques, contenues dans la liberté de parole, la liberté de penser, le droit à la dignité, performent directement, sur l’idée et le langage, servant à dire l’ignominie des destins raturés. Certaines œuvres, sillage de nausée, expriment l’offensive généralisée, religieuse, sociale, idéologique, contre la femme, les enfants, le savoir, des territoires à piller. L’appétit féroce de l’intégrisme religieux qui séquestre et capture les espaces de vie et de conscience. La civilisation du trop vide, l’opposition Nord-Sud, la mise en faillite de l’Afrique, la mise en abîme des Peuples, sont des instants majeurs du débat d’idées et les messages sont saturés d’évidence pour humidifier nos engagements qui sans ces images n’auraient ni saison, ni floraison.
Ces contre-images sont une nouvelle grammaire de l’image pour un compte épargne iconographique, qui donne un temps de conscience utile. La dictature, la répression, est l’objet-territoire de gestes graphiques (Censuré, El Koursi, 5 octobre 88, Responsable et coupable) qui rend compte de l’exercice du pouvoir dans les pays autoritaires ; cette brutalité qui pétrifie toute geste citoyenne et installe le silence du cri. Un graphisme non compressé, une insurrection graphique.