Mr. Smith goes to Mexico
Par Christophe Deroubaix Journaliste à L’Humanité
Jamais ses longues jambes tendues par la course, huilées par l’effort, jamais sa foulée tonique, supersonique, unique, ne l’auront porté aussi loin que son bras. Un bras droit ganté de noir, poing fermé, tendu vers un ciel où les étoiles lui déclaraient : « Vous allez changer le monde. » Tommie Smith, vingt-quatre ans à peine, athlète hors normes, médaillé d’or du 200 mètres des Jeux olympiques de Mexico, les premiers à être organisés dans un pays d’Amérique latine. Derrière lui, John Carlos, médaillé de bronze. 19’’83, record du monde : ce qui devait être essentiel devient pourtant secondaire, anecdotique.
1968. L’Amérique se perd au Viêt Nam : à My Lai, elle massacre hommes, femmes, vieillards et enfants. Après l’offensive du Têt, au début de cette année-là, l’Amérique perd au Viêt Nam. 1968. L’Amérique tente de se sauver à Berkeley, où, en mai, la contestation étudiante fait ce qu’il lui plaît.
1968. L’Amérique se déchire. Émeutes urbaines à Chicago, Washington, Louisville, Baltimore.
1968. Refusant d’aller tuer ses frères de couleur qui « ne l’ont jamais traité de nègre », Mohammed Ali, déchu de son titre, privé de licence, paie, au prix le plus fort, son objection de conscience.
1968. Le président sortant Lyndon B. Johnson, affaibli par sa politique au Viêt Nam, ne se représente pas. Martin Luther King assassiné. Il avait pris position, un an jour pour jour avant son exécution, contre la guerre du Viêt Nam. Robert Kennedy aussi. Il allait sans doute décrocher l’investiture démocrate sur un programme anti-guerre. Nixon président. Il a promis de mettre fin au conflit (Nixon démissionnera en 1974 et la guerre se terminera en 1975).
1968. Tommie Smith… Dans un film de Frank Capra, Mr. Smith allait au Sénat à Washington défendre les vraies valeurs du peuple face aux politiciens corrompus. Mr. Smith, Tommie, lui, est allé à Mexico pour y brandir un poing en forme de message universel.