La Conscience noire assassinée par l’apartheid
Par Pierre Barbancey Grand reporter à L’Humanité
Steve Biko s’est engagé jeune dans la lutte contre le régime raciste d’Afrique du Sud. Étudiant à l’université de médecine du Natal où il est élu au conseil représentatif des étudiants noirs, il est délégué en 1968 à la Conférence de la National Union of South African Students (NUSAS, Syndicat national des étudiants sud-africains), à l’université de Rhodes. Mais son engagement est sans concession, influencé par les grands leaders de l’émancipation des Noirs, tels que Marcus Garvey ou Frantz Fanon, et les penseurs de la Négritude comme Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. Il développe cette doctrine tout en adaptant le slogan des Black Panthers, Black is beautiful. Pour Biko, les Noirs doivent prendre en main leur destinée, sans compter sur les Blancs. D’où son éloignement de la NUSAS, largement ouverte aux étudiants libéraux blancs.
Il participe alors à la création de la South African Students Organisation (SASO, Organisation des étudiants sud-africains), et en devient le premier président élu. La SASO était l’un des principaux représentants du Black Consciousness Movement (Mouvement de la Conscience noire), dont Biko était l’initiateur.
Ce dernier est d’ailleurs très critique vis-à-vis de l’ANC, le mouvement de Nelson Mandela et des progressistes blancs, qu’il confond avec les représentants de l’apartheid malgré leur engagement.
Il estime que, même s"ils sont de bonne volonté, les Blancs ne peuvent comprendre entièrement le point de vue des Noirs sur la lutte à mener. Il se prononce contre l’intégration entre Noirs et Blancs, se déclarant contre « le fait qu’une minorité de colons impose un système entier de valeurs aux peuples indigènes ». Pour lui, la « libération psychologique » doit précéder la « libération psychique » : les Noirs ne peuvent se libérer politiquement de l’apartheid que s’ils cessent de se sentir inférieurs aux Blancs.
Bien que ne prônant pas la violence, influencé en cela par Gandhi et Martin Luther King, il devient vite la cible de la police et de l’armée d’apartheid. D’autant qu’en 1972 il lance la Black People’s Convention (BPC). En 1973, il est détenu sous l’accusation de terrorisme avec d’autres membres de la Conscience noire. Alors qu’éclate la révolte de Soweto, en 1976, contre la volonté du pouvoir blanc d’imposer l’afrikaans dans les écoles, Steve Biko est mis au secret pendant
101 jours avant d’être relâché. Mais le 18 août 1977, il est de nouveau arrêté. On ne le reverra plus vivant. Longuement torturé, il meurt en détention le 12 septembre 1977. Sa mort va choquer le monde entier.
Aux questions de la députée libérale Helen Suzman sur la mort de Biko, la réponse du ministre de la Justice, Jimmy Kruger, ne laissa aucun doute – s’il en était besoin – sur l’horreur de l’apartheid : « La mort de Steve Biko me laisse froid », dit-il. Aujourd’hui encore, en Afrique du Sud, la mémoire de Steve Biko est présente. D’autant que les difficultés économiques du pays et l’héritage de l’apartheid poussent de nombreux jeunes des townships et certains artistes à se revendiquer de la Conscience noire.