Madiba, l’humble serviteur du peuple sud-africain
Par Pierre Barbancey Grand reporter à L’Humanité
Nous sommes le 11 février 1990. Nelson Mandela vient d’être libéré après vingt-huit ans d’emprisonnement. Lui dont on ne connaissait que quelques photos réalisées à la fin des années cinquante, alors qu’il avait tout juste la quarantaine, stupéfait le monde entier, ému, avec sa chevelure grisonnante. Qui n’a pas pleuré devant ces images choc – celles d’un homme amaigri, déjà vieux (il a alors soixante-douze ans), mais portant sur lui la dignité comme on porte un étendard – a un cœur de pierre !
Lors de son premier discours, prononcé depuis l’hôtel de ville du Cap, devant une foule fière et unie comme les doigts qui se ferment pour former un poing de combat, il dit : « Je suis là devant vous non pas comme un prophète mais comme un humble serviteur du peuple. Ce sont vos inlassables et héroïques sacrifices qui m’ont permis d’être là aujourd’hui. Je remets entre vos mains les dernières années qui me restent à vivre. » Surtout, au grand dam des dirigeants de l’apartheid et de ceux des pays occidentaux (notamment Margaret Thatcher, alors Premier ministre britannique), il exprime sa profonde gratitude à son parti, le Congrès national africain (ANC), aux combattants de la branche armée, l’Umkhonto we Sizwe, et au Parti communiste sud-africain (SACP).
« Je remets entre vos mains les dernières années qui me restent à vivre. » Une phrase extraordinaire, magnifique, qui, à elle seule, dit tout Mandela. Une vie dédiée à la recherche de la liberté.
Une liberté qu’il ne peut concevoir pour lui-même, pour lui seul, si le peuple auquel il appartient est toujours enchaîné. Cette conscience, peut-être inscrite au fond de lui dès son plus jeune âge, s’est néanmoins forgée au cours des années. « La prison ne vous vole pas seulement votre liberté, elle essaie aussi de vous déposséder de votre identité », écrit-il.
« C’est par définition un état purement autoritaire qui ne tolère ni indépendance ni individualité. » Au combat politique s’ajoutait donc celui pour la dignité du prisonnier.
« Toute demande de livre qui contenait le mot “rouge”, même s’il s’agissait du “Petit Chaperon rouge”, était rejetée par les censeurs », se souvenait-il dans son autobiographie justement intitulée Un long chemin vers la liberté.
Nelson Mandela, l’exemplarité même ! Exemplaire dans son combat, exemplaire dans son attitude. Élu président, il se met tout entier au service de cette cause : bâtir une nouvelle nation, une nation débarrassée de l’apartheid où le mot « race » n’a plus aucune signification. Comme annoncé, il renonce à tout mandat à l’issue de ses cinq années de présidence. Aux côtés de sa nouvelle épouse Graça Machel – qui l’aura accompagné jusqu’à son dernier souffle –, il se consacre alors aux enfants et à la lutte contre le sida. Sans jamais rien abdiquer de ses convictions, toujours fidèle à son idéal et à son organisation, l’ANC.
Du bagne de Robben Island à la présidence de l’Afrique du Sud, de prisonnier matricule 466/64 à icône mondiale, il a toujours été du côté des opprimés. Il s’est éteint à quatre-vingt-quatorze ans.