MOHAMMED ALI
Black is toujours beautiful
La fureur de vivre
Par Frédéric Sugnot Journaliste à L’Humanité
Mohammed Ali a marqué l’histoire – et pas seulement sportive – comme il martelait le corps de ses adversaires de la fureur de ses poings. Icône sportive, agitateur politique, il est aussi rappeur avant l’heure lorsque de son phrasé impeccable il gifle sa devise :
« Pique comme une abeille, vole comme un papillon ».
Ses vers de mirliton mettront le boxon dans le crâne de Sonny Liston, champion du monde en titre et bête de somme des rings. « L’ours noir », ainsi que le fustigeait Ali qui n’est alors que Cassius Clay, abandonne devant la symphonie de directs du gauche du jeune champion olympique des Jeux de Rome en 1960.
Ce 25 février 1964 à Miami, à l’appel du 7e round, Liston reste assis sur son tabouret et crache son protège-dents. Clay-Ali décroche son premier titre de champion du monde des lourds. Il n’a que 22 ans et tant pis si sa victoire sent le soufre d’un combat arrangé par la mafia. Liston se serait couché. Et alors ? « Muhammad Ali est le premier Noir champion du monde ET libre. Ali est un Fidel Castro noir », répond l’écrivain et militant des droits civiques Eldridge Cleaver.
Dont acte. En 1967, le champion du monde des lourds refuse de servir dans l’armée américaine parce que, dit-il, « aucun Viêt-cong ne m’a jamais traité de sale nègre ».
Né Cassius Marcellus Clay, le fils d’Odessa et Cassius Senior s’engage dans un autre combat – politique – qui lui coûtera presque quatre ans sans combattre. Laissant derrière lui son patronyme originel, celui d’un général du Kentucky qui au XIXe siècle affranchissait ses esclaves, il ne sera pas un gentil boxeur noir, un « Oncle Tom ». Converti à l’islam, il suit les préceptes de Malcolm X et devient Mohammed Ali. Un nom qui sonne comme un programme pour ce parangon de mégalomanie. Ali, traduit de l’arabe, c’est « le plus haut ». Mohammed, c’est celui qui est « digne d’éloges ».
Revenu patiemment au sommet de son sport au début des années 70, il va prouver que ces qualificatifs ne sont pas usurpés. En 1974, il livre son combat pour l’éternité à Kinshasa, au Zaïre. Lové dans les cordes, Mohammed Ali pour une fois ne danse pas. Il encaisse la furie de la bête fauve George Foreman avant de lui donner le coup de grâce... Il est de nouveau champion du monde au bout d’un chef d’œuvre esthétique et d’une vraie pièce de théâtre. Un combat qui inspirera des générations de boxeurs. Freddy Skouma, ex-champion d’Europe dans les années 80, passé des poings à la plume pour écrire le Corps du boxeur, texte ciselé sur le noble art, le résume à sa façon : « Moi, je ne savais pas qu’il y avait autant de filouterie dans le milieu de la boxe. J’voulais être beau comme Ali. C’est tout. »
Beau mais pas seulement. Les lois d’airain du boxing-business vont finir par mettre l’ex-môme de Louisville dans les cordes. Quelques combats pour quelques dollars de plus, quelques rounds de trop, et Ali perd le ministère de la parole, frappé par le syndrome de Parkinson diagnostiqué en 1984. Il ne peut plus hurler avec son débit de bateleur, il fera donc des apparitions. De plus en plus rares au fil des années. La plus mémorable restant sans aucun doute celle de la cérémonie d’ouverture des J.O. d’Atlanta, un soir de juillet 1996, où il embrase d’un geste mécanique la vasque olympique.
Presque vingt ans plus tard, il résiste encore à la maladie. Toujours pas K.-O...