Le qarqabou qui claque
Par Sadek Aïssat Journaliste et écrivain, décédé le 5 janvier 2005 à Paris
On raconte que dans les années trente, pareillement outillé, un musicien noir écumait les rues d’Alger, du côté de la basse Casbah. Était-ce celui-ci ? Peu importe, si ce n’est toi, c’est donc ton frère. C’est le regard qui frappe, au premier abord. Non, pas celui d’un amok malais. Une folie de vents chauds et d’eaux rares, mirage des routes du sel, ce qui en l’homme – de l’homme –, à jamais, demeure magnifiquement barbare. Sidna Boulal ! Sidna Boulal ! Bilal fut le premier esclave noir à entrer en islam, affranchi par son prophète. Il chanta l’appel à la prière, premier muezzin de la lignée et de l’histoire d’une révolution portée, aux origines, par les cohortes des démunis. Des siècles plus tard, sur le pourtour du désert saharien, de la rencontre des descendants d’esclaves noirs et de l’islam naissait la confrérie des Gnaoua. Noces du battement de sang de l’Afrique et d’un soupir ruisselant de ferveur pour célébrer le miracle de la vie dans des contrées arides et dépouillées. Dépouillée de même est la musique des Gnaoua, sans faste. Goumbri, basse profonde qui tape profond, staccato du qarqabou qui claque et la voix de l’homme pour atteindre les cieux. Prière propitiatoire qui entre dans le corps, doucement, et dans la douce violence du rythme le porte sur les griffes de la transe. Haut, très haut. L’âme – l’humanité – alors, légère, pose sur le monde un regard d’aigle. Haut, très haut.