Hasta siempre
Par Marie-José Sirach Journaliste à L’Humanité
« J’étais un enfant de la campagne mais j’ai grandi au bord de la mer. La plage était mon aire de jeu. Mes jouets, des crabes que j’attrapais. Je les accrochais les uns derrière les autres, je leur attachais une sorte de carriole et j’organisais des courses. C’étaient mes jouets, mes jeux… » De cette enfance lointaine, chiche mais heureuse, Compay Segundo a conservé, intacts, le regard malicieux, le sourire joyeux.
Repilado Muñoz, plus connu sous le nom de Compay Segundo. Musicien autodidacte, il apprend sur le tas à jouer du tres et de la guitare avec ses frères à l’âge où d’autres tapent dans un ballon.
À sept ans, il rencontre Sindo Garay, grand compositeur et musicien cubain. À quatorze ans, premières leçons de solfège. Il intègre dans la foulée la fanfare municipale de Santiago. Un an plus tard, il compose ses premières chansons et puis forme son premier groupe. Employé dans une manufacture de cigares, il continue de s’intéresser au monde des « trovadores », ces héritiers de la chanson spécifiquement originaire de cette région de l’île. En 1934, il quitte Santiago pour
La Havane et intègre le Cuban Stars aux côtés de ñico Saquito et s’envole, deux ans plus tard, pour le Mexique. Il y enregistre ses premiers 78 tours.
C’est en 1948 qu’il devient Compay Segundo, au sein d’un duo qu’il forme avec son cousin,
Los Compadres, où il fait la deuxième voix. Dès lors, le doyen du « són » ne cesse de jouer, d’arpenter les salles de concert, avec ses mélodies enchanteresses, son allure reconnaissable à mille lieues, son éternel chapeau vissé sur la tête, un cigare et un verre de rhum à portée de main. Dans la foulée, Compay Segundo se produit en France et en Belgique. En 1996, c’est la rencontre avec Ry Cooder, extraordinaire musicien qui s’est pris de passion pour les musiques du Sud du continent américain et des Caraïbes. L’enregistrement de Buena Vista Social Club le propulse au rang de star internationale. La vague du són cubain déferle sur la planète, ses phrasés mélodiques provoquent des ondoiements telluriques des plus sensuels.
Sur scène, Compay Segundo irradie de cette joie enfantine, partageant le plaisir de jouer avec ses compagnons. Regards complices, il est entouré par ses pairs et ensemble, ils donnent le meilleur de la musique cubaine. Rumbas, mambos, boléros, habaneras, les morceaux s’enchaînent doucement. Au centre, Compay donne le la, donne le tempo. Il imprime un rythme qui sent bon la Caraïbe, lascif et torride, puissant et minimaliste. Compay ne cherche pas à produire des effets, juste à partager des moments de bonheur, avec ses musiciens, avec le public, de petites parenthèses comme autant de respirations dans un monde chaque jour un peu plus fou, inquiet, inutilement furieux. Il porte en lui la mémoire d’un siècle mouvementé, l’histoire incroyable d’une île, son île, Cuba, qui fut le théâtre d’une révolution. Compay s’est promené dans ce siècle en offrant des interprétations magiques de chansons populaires qu’il sut transcender comme personne.
Compay Segundo est mort le samedi 12 juillet 2003 à La Havane. Ce jour-là, il est devenu éternel. Hasta siempre, Compay.