Une femme qui marche
Par Patrick Apel-Muller Directeur de la rédaction de L’Humanité
Une Amérique déversait du napalm et de la dioxine sur le Viêt Nam. Une autre, insolente et rebelle, s’affichait sur les murs des chambres étudiantes, avec le poster d’Angela Davis et de sa coupe afro. Une femme face aux G. I. et au F. B. I., une Noire d’Alabama quand les matraques frappaient les partisans de Luther King et que des bus étaient réservés aux Blancs, une philosophe quand les élites américaines parlaient money, une élève de Marcuse au pays du puritanisme. Engagée aux côtés des Black Panthers, adhérente au P. C. américain, elle devient le péril rouge à abattre pour les autorités américaines. Un certain Ronald Reagan, gouverneur de Californie avant de sévir à la Maison-Blanche, la renvoya de l’université. En 1970, accusée d’avoir fourni des armes pour la tentative d’évasion des frères de Soledad, des militants noirs, elle est condamnée à la prison.
Son nom devient un drapeau dans le monde entier et une image de belle et grande femme qui lève le poing face à la foule. « Vous ne pouvez pas savoir, relate-t-elle, ce que ça me faisait de lire dans ma cellule que ma sœur manifestait à Paris aux côtés d’Aragon et de Jean-Paul Sartre. »
Ce jour-là, cent mille personnes défilaient dans les rues de Paris, de cette ville où elle avait vécu et découvert l’oppression dont souffraient les Algériens encore colonisés. Le masque de la démocratie américaine se dévoilait grimaçant et les opinions mesuraient ce que ne cessait de dénoncer Angela Davis : « Les agents du gouvernement emploient en permanence les moyens les plus barbares et les plus détournés pour débarrasser le pays de tous ceux qui défient le racisme, dénoncent l’exploitation capitaliste, travaillent, organisent et luttent pour la liberté. » Acquittée en 1972, elle a fondu dans un même combat le communisme, le féminisme, la lutte pour l’amélioration du sort des prisonniers, l’égalité des droits pour les homosexuels... « Le succès ou l’échec d’une révolution, insiste-t-elle, peut toujours se mesurer au degré selon lequel le statut de la femme s’est trouvé rapidement modifié dans une direction progressiste. »
Toujours engagée, philosophe, exigeante, nous l’avons découverte fraternelle (et végétarienne) lorsqu’un jour de printemps de 2013, elle a assumé la rédaction en chef d’un jour de L’Humanité. Lucide aussi, qui pointait aux États-Unis l’étrange alliage d’organisations de gauche en reflux et d’une opinion « plus réceptive aux idées progressistes ». L’icône des posters s’incarnait au milieu de journalistes qui avaient porté sa cause comme un drapeau. Angela Davis n’est cependant pas une image figée, mais toujours une femme qui marche.