Sur leur terre
Par Pierre Barbancey Grand reporter à L’Humanité
La première fois que Mustapha Boutadjine m’a demandé d’écrire un texte pour accompagner ses travaux consacrés à la Palestine, Ariel Sharon était encore Premier ministre d’Israël. C’était il y a plus de dix ans. Je notais à l’époque : « Pour la population, c’est l’enfer au quotidien. Les barrages de l’armée d’occupation sont toujours aussi nombreux malgré quelques effets de manche sur une nécessaire levée du bouclage des territoires. Il ne se passe pratiquement pas un seul jour sans qu’un ou plusieurs Palestiniens soient abattus. Femme, enfant ou vieillard, les balles ne font pas le tri. Le mur érigé par Ariel Sharon en Cisjordanie annexe les terres arables palestiniennes et les puits d’eau, cet or bleu. Et le retrait annoncé de Gaza n’est rien d’autre qu’une péripétie dans la stratégie d’Ariel Sharon qui entend, avec le consentement américain et le silence coupable de la communauté internationale, redéfinir les frontières d’Israël, encore une fois au mépris des résolutions internationales qui ne reconnaissent que les frontières de 1967. Cette situation intenable a abouti à une déstructuration de l’Autorité palestinienne, à une paralysie de la vie politique et au renforcement des groupes islamiques qui avaient refusé les accords d’Oslo. »
Dix ans plus tard, Sharon a disparu. Mais il a été remplacé par un de ses émules, aussi sanguinaire que lui : Benjamin Netanyahou. L’occupation se poursuit. Si les colons se sont retirés de la bande de Gaza, ce territoire palestinien vit sous un blocus inhumain, lui valant le surnom de « prison à ciel ouvert ». Une punition collective contre des Palestiniens coupables d’avoir élu le Hamas. Une prison qui est devenue la cible d’interventions militaires israéliennes toujours plus sanglantes comme en 2008-2009 et à l’été 2014. En Cisjordanie, les colonies poussent comme des champignons, les colons multiplient les exactions contre les paysans palestiniens, des milliers de maisons sont détruites et le mur de l’apartheid déroule son béton belliqueux en prenant soin de déposséder les Palestiniens des terres les plus arables et des puits d’eau.
Retenu prisonnier pendant des années dans son QG de Ramallah, le leader historique des Palestiniens, Yasser Arafat, est mort dans un hôpital parisien, sans doute tué au poison, tant le flou demeure sur son dossier médical. Côté États-Unis, les administrations qui se sont succédé, qu’elles soient démocrates (Clinton et Obama) ou républicaine (Bush fils), ont perpétué une politique de protection d’Israël, élevé au rang de seul pays autorisé à s’affranchir du droit international.
Depuis, il y a eu ce qu’on a appelé un peu trop vite « les printemps arabes ». L’occasion pour les forces les plus obscurantistes, dirigées en sous-main par l’Arabie saoudite et le Qatar, de passer à l’offensive, particulièrement en Syrie. Paradoxalement, l’instabilité régionale ainsi créée – les Occidentaux avaient pensé, au début 2011, que le pouvoir en place à Damas allait tomber comme un fruit mûr –, la partition en cours en Irak, la formidable résistance des Kurdes à Kobané (Kurdistan syrien), ont amené Washington à considérer le problème sous un autre angle et à souhaiter un règlement du dossier nucléaire iranien. Israël se trouve en porte-à-faux. Les gouvernements états-unien et européens sont maintenant forcés d’écouter les opinions publiques de plus en plus opposées à la politique israélienne. De quoi encourager tous ceux qui ont le droit des peuples au cœur. Pour que les prochains tableaux de Mustapha Boutadjine nous montrent des familles palestiniennes, des femmes et des enfants, vivant dans la plénitude et la sécurité. Sur leurs terres, près de leur drapeau, symbole de leur État.