Le vieil homme et le fusil
Par Hassane Zerrouky Journaliste à L’Humanité
Ce tableau ravive un souvenir précis. C’était, je crois, le 10 avril 2003, au lendemain de la chute de Bagdad. Deux jours avant, les derniers raids meurtriers des F-16 sur les casernes de la Garde républicaine dans le quartier de Doura de la capitale irakienne avaient laissé place à un silence inhabituel sur la ville. Et la veille, Bagdad était sous contrôle des forces U. S. Ce jour-là, donc, un vieil Irakien, coiffé d’un keffieh et d’un sarouel (pantalon traditionnel), armé d’un vieux fusil Mauser, vint à notre rencontre. Cheikh Abbas était entouré de ses enfants et petits-enfants.
Cet homme fier affirmait, sous le regard condescendant de quelques journalistes occidentaux, que cette terre d’Irak serait le tombeau des Américains. « Il faut qu’ils s’en aillent, sinon leurs mères vont les pleurer », disait-il d’une voix douce. À l’époque, j’avais écrit que le vieil Abbas tentait de se consoler comme il pouvait de l’amère réalité de la défaite irakienne. Et tentait de se donner une certaine contenance, face à des marines arrogants, demandant aux gamins qui s’approchaient d’eux de leur présenter leurs sœurs en échange de chocolats et de canettes de Coca-Cola ou de sodas !
Plus d’une année après, de retour à Bagdad, l’arrogance des marines avait cédé la place à la peur. Les attaques contre les militaires américains se multipliaient. Le soir venu, les casernes et lieux comme l’hôtel Cedar où je logeais, abritant des bodyguards (milices privées), étaient attaqués à la roquette.
Des embuscades étaient tendues aux marines. Plus de 5 000 d’entre eux seront tués entre 2003 et 2009 et quelque 30 000 seront blessés dont certains paralysés à vie. Alors je me suis souvenu des paroles de Cheikh Abbas…