CHILI : VÍCTOR JARA, PABLO NERUDA, SALVADOR ALLENDE
America basta
Chili : Víctor Jara, Pablo Neruda, Salvador Allende
Par Mustapha Boutadjine.
Paris 2004 - Graphisme-collage, 100 x 81 cm
Les cibles de la CIA
Par José Fort Journaliste à L’Humanité
Le 11 septembre 1973, Santiago du Chili, palais présidentiel. Il est près de 12 heures.
Les bombardements viennent de prendre fin, une partie du bâtiment est en feu, les militaires putschistes encerclent La Moneda. L’assaut final se prépare. Salvador Allende vient de refuser de se plier à l’ordre de Pinochet de prendre le chemin de l’exil à bord d’un avion militaire.
Le président adresse son dernier message sur les ondes de Radio Magallanes avant de se tirer une balle dans la tête : « Ils vont sûrement faire taire la radio et vous ne pourrez plus entendre le son de ma voix. Peu importe, vous continuerez à m’écouter, je serai toujours près de vous, vous aurez au moins le souvenir d’un homme digne qui fut loyal avec la patrie. Le peuple doit se défendre et non pas se sacrifier, il ne doit pas se laisser exterminer et humilier. Allez de l’avant, sachant que bientôt s’ouvriront de grandes avenues où passera l’homme libre pour construire une société meilleure. »
Des années de répression de masse, de tortures et d’assassinats s’annonçaient sur l’ensemble du continent latino-américain. Aux manettes, les généraux formés aux États-Unis et les oligarchies locales. À la coordination et à l’inspiration, les gouvernants nord-américains, le Prix Nobel de la Paix Henry Kissinger et son maître, le célèbre affabulateur Richard Nixon. Une longue nuit de terreur s’abattait sur l’Amérique du Sud. Objectif de Washington et de ses tueurs : exterminer les forces de gauche du continent. Communistes, socialistes, révolutionnaires de toutes tendances, curés proches de la théologie de la révolution, démocrates même engagés timidement, devaient disparaître. Si possible sans laisser de traces, les bébés rescapés des massacres étant livrés à des militaires en mal d’enfants avec la plupart du temps le silence complice des autorités ecclésiastiques, seuls quelques évêques osant protester et le payant de leur vie comme le courageux archevêque de San Salvador, Mgr Romero. En ce temps-là, le pape François, chef des jésuites en Argentine, ne pipait mot. Les persécutés franchissant les frontières, il fallait trouver une parade : « l’Opération Condor », du nom du célèbre oiseau de proie des Andes, était mise en place.
26 novembre 1975, 11 heures. Dans un sous-sol de la police secrète à Asunción au Paraguay, la « coordination » regroupant les représentants des dictatures d’Argentine, du Chili, de l’Uruguay, du Paraguay, de Bolivie, du Brésil et du Pérou s’installe. Autour de la table, le général Manuel Contreras, chef de la police secrète chilienne, le capitaine argentin Jorge Casas, le major Carlos Mena (Bolivie), le colonel Benito Guanes Serrano (Paraguay), le colonel José A. Fons (Uruguay), et les Brésiliens Flavio de Marco et Thaumaturgo Sotero Vaz. La CIA est représentée par deux chefs de haut niveau dont les véritables noms ne sont toujours pas connus. Sur les documents de la CIA déclassés, seuls apparaissent les pseudos avec un oubli volontaire ou pas : les Péruviens. La réunion se prolonge jusqu’à l’heure du dîner. Le plan ficelé, le repas pris, chacun reprend le chemin de la capitale des pays respectifs. Le massacre pouvait commencer.
Peu de temps après, la vague de tortures et de meurtres démarre sur l’ensemble du continent. Elle durera près de dix ans. Parmi les victimes, Orlando Letelier, ancien ministre des Affaires étrangères du Chili, et l’ex-président bolivien, Juan José Torres. Bilan de l’opération Condor : 50 000 assassinés, 30 000 disparus, 400 000 emprisonnés.
Chaque dictature, au-delà des pratiques courantes, a ses préférences répressives et
de mort : en Argentine, les prisonniers sont jetés à la mer depuis les hélicoptères ; en Uruguay et au Paraguay, la torture est poussée jusqu’au raffinement avec un goût prononcé pour la baignoire et la découpe de membres. Au Chili, la technique de la « disparition » pure et simple devient monnaie courante ; au Brésil, on rassemble les familles puis, un par un, enfants, père et mère sont abattus pour faire parler les derniers. Au Paraguay, le dictateur Strossner aime alimenter les fauves avec de la chair humaine sortie des prisons. En Bolivie comme au Pérou, il est courant de voir débarquer dans les villages au petit matin des pelotons de militaires fusillant sans distinction la population coupable de protéger des opposants. L’horreur, dix ans durant. La barbarie planifiée depuis Washington dans le plus grand silence ou presque des prétendues « démocraties » occidentales. Aujourd’hui, la plupart des tortionnaires sont morts.
Leurs descendants se distinguent actuellement dans l’opposition aux gouvernements progressistes d’Argentine, de Bolivie, d’Équateur et du Venezuela. Les temps ont changé. À Miami, refuge doré des dictateurs latinos à la retraite, les exilés cubains en rage après la reprise des relations diplomatiques entre Washington et La Havane côtoient les bas-fonds du continent. Les plus vieux anticastristes, impliqués dans les affaires terroristes, n’intéressent plus personne, sauf certains médias français et européens hostiles par principe à la révolution cubaine. En plus de cinquante ans, les uns et les autres ont réussi une seule chose : conforter la Grande Île dans son orientation socialiste, assurer son prestige populaire continental et mondial tandis que le dernier message de Salvador Allende devient réalité.