La poésie au cœur de l’homme
Par Ahmed Cheniki Journaliste et professeur d’université
Adonis, c’est la poésie faite liberté. Ce n’est pas sans raison que Ali Ahmed Saïd Esber emprunta son nom à un mythe dont le destin est lié au renouveau de la nature.
Ce Syro-Libanais, né en 1930, fut, depuis sa tendre enfance, fasciné par les jeux poétiques dans un monde où la violence se conjuguait à la déraison et à l’absurde. Il ne pouvait, à l’âge de dix-sept ans, résister au désir de faire écouter ses vers au président de l’époque, qui fut tellement ému qu’il l’aidera à poursuivre ses études au lycée et puis à l’université. Adonis, le poète, l’homme libre, a toujours cherché à donner au mot liberté une signification singulière qui poussa les ennemis de la parole vraie à l’embastiller. Pour lui, la poésie n’est pas un engagement, mais une raison d’être, un désir de vie. Les titres de ses recueils : La Terre a dit, Feuilles dans le vent ; Singulier, Tombeau pour New York, Le Livre des migrations, Kitab el Hisar (Le Livre du siège), Mémoire du vent, Toucher la lumière, La Forêt de l’amour, Prends-moi, chaos, dans tes bras…, confirment cette volonté de s’approprier les éléments de la nature et de la vie commune, mais à la condition sine qua non de changer le monde, de faire de la femme le centre de toute quête et de la laïcité un outil de gouvernement, contestant la pensée religieuse, pour une mise en mouvement de l’idée de l’homme qui serait au cœur de toute poésie. La poésie comme l’identité sont vécues comme des espaces en mouvement. Ainsi, oxymores, métaphores obsédantes de la vie et de la mort, images d’une végétation maîtresse du monde structurent une poésie qui est paradoxalement « moderne », autant qu’elle est marquée par les traces d’Abou Nouwas et d’El Maâri. Adonis écrit pour vivre, pour humer les lieux d’une liberté à conquérir. La prison et la censure ne lui sont pas étrangères, mais il poursuit son chemin. Sa revue Mawaqif (Positions), créée après Chi’r (Poésie), où il publie son fameux manifeste pour une poésie et une parole libre, faisant côtoyer Michaux, Saint-John Perse, Baudelaire, Rimbaud, El Maâri, Abou Nouwas, Khayyâm, est sans concessions avec les « censeurs de la liberté » et les « assassins de la lumière ». Déjà, dans son manifeste des années 1960, il déclarait que la poésie est au cœur de l’homme et que les sociétés arabes ne pouvaient changer sans une reconsidération de la place des femmes et la mise en œuvre d’un véritable processus de laïcisation. Ses propos sont toujours d’actualité dans un « monde arabe » traversé par les bruits de bottes et les vérités uniques. Les Chants de Mihyar le Damascène sont désormais audibles et la poésie par essence tragique pour celui qui sait que l’élément central autour duquel s’articule la tragédie, c’est l’idée du triomphe de la volonté humaine.