« Cette agonie est notre triomphe »
Par Christian Audouin Directeur de L’Écho
Leurs noms, comme celui de Joe Hill, des Rosenberg, des frères de Soledad, résonnent encore aujourd’hui à travers le monde. Ils ont été exécutés à l’issue d’un procès tronqué et malgré une mobilisation internationale sans précédent.
Ils étaient anarchistes, au début du XXe siècle. Anarchistes italiens exilés aux États-Unis d’Amérique, chassés de leur terre par la misère et l’oppression sociale comme des millions de leurs frères et de leurs sœurs.
À l’époque, et ce depuis la fin du XIXe siècle, c’était l’Europe qui se vidait de ses fils et de ses filles. Ils partaient traverser l’Atlantique sans savoir ce qui les attendait réellement de l’autre côté de l’océan. L’Irlande, l’Italie, la Pologne (qui n’existait plus d’un point de vue étatique) se vidaient d’une bonne part de leur population. Le rêve était alors de partir tenter de survivre aux Amériques. Les Basques français sont partis pour le Chili ou l’Argentine. Les Irlandais, chassés par la crise de la pomme de terre, ont débarqué sur la côte est des États-Unis, puis sont venus les Italiens, des Polonais, des Ukrainiens.
Regroupés par communautés, les immigrés s’organisaient en associations de secours et d’entraide. Ces premières structures de solidarité avaient bien souvent pour origine des ouvriers organisés, déjà militants dans leurs pays d’origine, des Allemands marxistes, des Italiens anarchistes ou socialistes, des libertaires, puis après les années vingt et la révolution d’Octobre, des militants communistes.
Ces ouvriers pauvres, petits artisans ou commerçants étaient la proie des vendeurs de sommeil, des patrons sans scrupule, du racisme, du crime organisé et des forces de répression dès qu’ils leur prenaient l’idée de relever la tête. En 1919, répercussions de la Première Guerre mondiale et des mouvements révolutionnaires qui se développent en Europe, on compte plus de quatre millions de grévistes aux États-Unis. Les revendications sont universelles : augmentation des salaires et réduction du temps de travail.
Le mouvement ouvrier américain – injustement méconnu en Europe – est plein de ces histoires de violences aveugles contre les travailleurs syndiqués ou voulant le devenir.
Il n’est qu’à lire La moisson rouge de Dashiell Hammett pour s’en faire une idée. Les États-Unis ont toujours vu cohabiter la liberté d’expression, d’association avec la plus sauvage répression dès que le système est mis en cause. On a eu malheureusement des exemples plus proches de nous dans le temps avec l’assassinat par la police américaine de la plupart des cadres du Black Panthers Party, quand celui-ci s’est réclamé de la lutte des classes et nouait, de fait, des liens étroits avec les communistes américains.
En 1925 une vague d’attentats à la bombe, attribués aux anarchistes, fait plusieurs morts.
Les autorités américaines concoctent un parfait amalgame entre terrorisme, anarchisme, immigration, mouvements révolutionnaires. Les arrestations touchent aussi les milieux communistes et socialistes.
La peur du Rouge n’est pas laissée qu’aux bêtes à cornes.
Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti sont des militants anarchistes, favorables à l’action directe. Ils sont arrêtés – après une course-poursuite dans un garage où ils récupéraient une voiture en réparation – et accusés par la police d’avoir participé à deux hold-up dont un avait mal tourné : le caissier (le payeur dans cette manufacture de chaussures) et un employé de sécurité – comme on dit aujourd’hui – avaient été tués. 15 000 dollars avaient été volés. Pour la police, la cause est entendue, les anarchistes ont braqué pour renflouer les caisses de leur mouvement.
Sans entrer dans le détail, on sait que les deux procès (un par braquage) sont truqués.
Des témoignages, notamment d’immigrés italiens, sont refusés par la cour. À la suite du deuxième procès, les deux militants sont condamnés à mort. Les syndicalistes de l’IWW
(Industrial Workers of the World) prennent la défense de Sacco et Vanzetti et créent un comité de soutien qui aura des répercussions internationales. Le Secours rouge international les prend en charge.
En 1925, un prisonnier de droit commun s’accuse du braquage et des deux meurtres. Il fait partie de la pègre. Les juges refusent de rouvrir le dossier.
Dans la nuit du 22 au 23 août 1927, malgré des manifestations dans le monde entier et des émeutes notamment à Paris et à Londres, Sacco et Vanzetti sont exécutés sur la chaise électrique. L’Humanité barre sa une de ce titre « Le prolétariat les vengera ! »
Cinquante ans après leur mort, le gouverneur du Massachusetts – et qui fut candidat démocrate à la présidentielle de 1988 –, Michael Dukakis, les réhabilite.
« Nos paroles, nos vies, nos souffrances ne sont rien. Mais qu’on nous prenne nos vies, vies d’un bon cordonnier et d’un pauvre vendeur de poissons, c’est cela qui est tout ! Ce dernier moment est le nôtre. Cette agonie est notre triomphe. » Bartolomeo Vanzetti face au juge Thayer.