Black is toujours beautiful

Le noir n’est pas une couleur

Par Raphaël Confiant, Écrivain

Si j’étais une couleur, je figurerais dans le spectre de l’arc-en-ciel.
Si j’étais une couleur, on me dirait tantôt « pâle » tantôt « foncé ».
Si j’étais une couleur, je changerais de... couleur.
Fâché, je deviendrais rouge, effrayé, je deviendrais vert, maladif, je deviendrais jaune, ravi, je deviendrais rose, tanné, je deviendrais orangé, cadavérique, je deviendrais gris.
Et pourtant, vaste blague, ils osent m’appeler « homme de couleur » !
Non, je suis debout dans ma noirceur irréfragable. Immuable. Indéracinable. Mes poings boxent à Kinshasa et la foule hurle en lingala : « Ali, bomayé !
Bomayé ! » (Ali, tue-le ! Tue-le). Je psalmodie devant le Capitole, à Washington, ce rêve qui ne cesse de m’habiter et la langue de Shakespeare en tremble. À la Martinique, je suis la bouche de ceux qui n’ont point de bouche et je transfigure celle de Molière, inventant un beau mot neuf au passage et ce mot glorifie tous les miens. Parfois, je n’ai pas besoin de mots : je me contente d’une toile et d’un pinceau.

Et ma peinture défie le monde qui vient ! Mais, il y a l’envers du décor aussi. La folie de ceux qui me vouent une haine immémoriale et me jettent au cachot pour le restant de mes jours. Ma noirceur me protège de la folie. C’est qu’elle sait convoquer dans ma cellule les divinités de l’Afrique perdue, surtout Legba, celui qui ouvre les barrières. Alors, je suis libre dans ma tête, oui ! Et ainsi je leur pardonne, à mes bourreaux...
Je ne suis pas une couleur.

C’est le blanc qui en est une et s’est érigé en couleur suprême, s’opposant du même coup à moi dans un face-à-face à la fois stérile et mortifère. Je n’ai rien contre la blancheur. J’aime la féerie des nuages avant l’arrivée de l’hivernage et la pudique beauté du lys des rivières, fleur rare des Indes occidentales.

Je suis la Kaaba, ce carré de roche tombée du ciel autour duquel les hommes viennent expier leurs pêchés et solliciter des grâces.

Je suis « le chant profond du jamais refermé ».
Aimez-moi, je vous aimerai !