America basta
Éditorial
Par Pierre Barbancey Grand reporter à L’Humanité
C’est certainement ce qui caractérise le travail de Mustapha Boutadjine. À l’inverse des idées reçues, à l’inverse des représentations conventionnelles, à l’inverse des figures qui alimentent les magazines et les émissions de télévision aussi riches que vides, l’artiste explore depuis de nombreuses années les arcanes humains. Ceux des luttes, de ceux qui résistent, de ceux qui ne courbent pas l’échine. Il y a donc eu Black is toujours beautiful. Une succulente galerie de portraits de ces personnalités noires qui ont marqué leur époque.
Aujourd’hui nous arrive America basta. Un parcours mondial où l’image impose les exactions des administrations américaines. Du sang et des larmes. Mustapha Boutadjine revendique l’engagement. L’engagement dans la dénonciation d’un leurre mondial, celui de la démocratie version Washington. De la mise à mort des deux anarchistes italiens Sacco et Vanzetti à l’exécution des époux Rosenberg, du napalm au Viêt Nam à l’exécution du Che, du portrait de Mumia Abu Jamal à celui de Salvador Allende, le geste de Boutadjine est sans concession.
Que dire également de ce beau face-à-face de deux figures du combat des Native Americans, les fameux « Indiens », représentés ici par le chef sioux Sitting Bull (qui a défait l’horrible général Custer à la bataille de Little Big Horn) et par Leonard Peltier, membre de l’American Indian Movement, emprisonné depuis 1976, condamné à deux fois la prison à perpétuité.
Leonard Peltier aime à dire : « Mon crime est d’être Indien. Quel est le vôtre ? » Sa faute est grave : il rappelle sans cesse que les États-Unis – comme Israël, d’ailleurs – sont un pays qui s’est constitué en dépouillant un peuple de sa terre.
On comprend ainsi mieux ce lien entre Washington et Tel-Aviv et le slogan sioniste :
« Une terre sans peuple pour un peuple sans terre ».
L’impérialisme des États-Unis est tel qu’ils prétendent à eux seuls être l’Amérique ! C’est au nom de « l’Amérique » que les troupes U. S. envahissent l’Afghanistan et l’Amérique. C’est fort de ce soutien qu’Israël perpétue son occupation des territoires palestiniens ou mène des guerres contre les populations civiles de la bande de Gaza. Israël qui, élection après élection, se dote de gouvernements de plus en plus fascistes, dominés par les religieux orthodoxes, les colons et tout ce qu’il y a de plus réactionnaire.
Boutadjine est d’autant moins consensuel que les images pour nous recréées procèdent de cette originalité : ni peinture ni crayon, seulement des morceaux de papier glacé. Une déconstruction de photos pour, à l’aide de bandesaléatoirement déchirées, faire naître une nouvelle figuration, celle-là même qui devient, au fil des tableaux, le « strip » de l’histoire moderne.